Rédigé par Marie Le Marois
Journaliste chez MARCELLE, le média de solutions
Le collège Saint-Vincent, à Hendaye, a installé des toilettes sèches dans sa cour depuis mars 2024.
Derrière les économies d’eau, Philippe Bancon, son directeur, souhaite offrir aux 400 élèves une application directe des cours de SVT. Et valoriser l’urine collectée comme fertilisant pour les agriculteurs locaux. Cette circularité est une grande première en France.
La cour du collège, surmonté d’un fronton pour jouer à la pelote basque, était calme avant que l’heure de la récréation ne sonne. Un flot d’élèves, du CM1 à la 3e, sortent des salles de classe dans un grand brouhaha. Certains en profitent pour faire une pause WC. Filles d’un côté, garçons de l’autre, comme dans n’importe quel établissement. Sauf qu’ici, les toilettes sont sèches. Les enfants ne doivent pas actionner de chasse d’eau. Ni envoyer une pelletée de copeaux de bois pour couvrir leurs besoins, comme on pourrait l’imaginer.
Un système sur deux niveaux
Conçu sur deux niveaux, un par sexe, le système des sanitaires se présente comme une enfilade de cabines composées de cuvettes cylindriques surmontées d’un abattant. Deux mètres en dessous se trouve le composteur : une fosse tapissée de 20 centimètres de broyât de bois de la ville (bonus) qui reçoit les excreta (tout ce que notre organisme rejette, urine, fèces et sueur – Ndlr). Pas d’odeurs : une VMC (ventilation mécanique contrôlée) circulaire permet d’évacuer les émanations vers l’extérieur par la toiture. Autre particularité, un éclairage ras du sol pour «que les enfants ne voient pas le trou », précise Philippe Bancon, le chef d’établissement, tout en montrant l’installation.
Des urinoirs féminins
Cet écologiste convaincu a été plus loin en installant la version féminine des urinoirs, « pour le pipi only ». Le modèle Marcelle (bonus) permet aux filles d’uriner sans s’asseoir, proprement, aussi rapidement et efficacement que les garçons. L’autre intérêt, et non des moindres, est qu’il ne nécessite également pas d’eau du tout et particulièrement potable. L’ensemble de l’installation permet d’économiser entre 400 et 500 000 litres d’eau par an, « soit 75% de la consommation de l’établissement », estime Philippe Bancon. Pas vraiment d’impact sur le coût, 2500 euros environ d’économie, « l’eau a peu de valeur », se désole-t-il.
Pablo Servigne, le déclencheur
Ce projet est l’aboutissement d’une longue réflexion de cet homme pragmatique. Elle a été déclenchée par la lecture en 2018 du livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens ‘’Comment tout peut s’effondrer’’. « J’ai compris l’urgence. Le risque de dégradation globale de notre planète est bien plus grand que ce qui est annoncé. La seule manière de s’en sortir, c’est le collectif. Il faut y aller, on n’a plus le temps. La peur est un moteur ». Ce chef d’établissement à la carrure imposante a commencé d’abord par supprimer les serviettes en papier à la cantine, les pochettes en plastique en classe. Puis par récupérer les déchets alimentaires pour alimenter le compost qui fertilise le potager du groupe scolaire. « Neuf tonnes de biodéchets de cantine sur un an, ce qui fait environ quatre à cinq tonnes de compost », étaye ce cinquantenaire. Enfin, il facilite également la mobilité verte, avec notamment la mise en place d’un vélo-école et d’ateliers de réparation.
Les toilettes, problème récurrent dans les établissements
C’est dans cette logique, lors de la rénovation des toilettes, en place depuis cinquante ans, que l’ancien Délégué général des Scouts et Guides de France a implanté ce nouveau système écologique. Pour que le projet fonctionne, Philippe Bancon a embarqué dès le début dans l’aventure le chef d’équipe ménage et le professeur de technologie. C’est ensemble, avec l’architecte, qu’ils ont visité une école à Saint-Germé dans le Gers, qui utilise des toilettes sèches depuis plus de douze ans. « En dix minutes, c’était signé ». Il a associé ensuite l’équipe éducative et, bien sûr, les élèves. En effet, ce lieu d’aisance, avec la cantine, est, dans n’importe quel établissement scolaire, le principal problème récurrent dont se plaignent les enfants – et donc les parents. Des sanitaires propres, qui ferment, ne sentent pas mauvais et sécurisés. « C’est un endroit où ils font les zouaves. Où un élève de 3e qui passe peut pousser un 6e dans un urinoir », rapporte ce musicien-compositeur. Il a par conséquent installé des urinoirs fermés. « Finalement, tout le monde est content. Pas seulement les 6e ».
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Et la matière, elle devient quoi ?
Dans les toilettes, la matière brune, habituellement rejetée à l’égout et nécessitant des opérations d’épuration des eaux usées, se dégrade au fond de la cuve grâce au compostage. Comme pour les déchets alimentaires, c’est le responsable de maintenance qui s’en charge. Il brasse toutes les six semaines fèces, papier et menstrues avec son croc à fumier, opération nécessaire pour que le compost prenne. Et, pendant les vacances d’été, il le couvre d’une bâche pour garder l’humidité et la vie microbienne. « Complètement partie prenante du projet, il a même suivi en formation de composteur pour bien comprendre le processus biologique », explique le directeur. Il ajoute : « la matière fécale n’est pas moins ragoûtante que les biodéchets de cantine, c’est psychologique ». Il l’affirme en connaissance de cause, « on brasse souvent ensemble ».
Pas besoin pour l’instant de valoriser ce compost riche en nutriments (bonus) : l’établissement n’a pas eu encore à vider la cuve depuis le démarrage, en mars 2024. En effet, comme tout déchet organique, la matière brune se décompose au fil du temps. Et devient terreau. Quant aux urinoirs filles comme ceux des garçons, ils ont été conçus pour être reliés à une cuve enterrée de 12 m3 en mai 2024 pour devenir dans le futur un fertilisant agricole.
Quelques difficultés rencontrées
Philippe Bancon ne fait pas l’impasse sur les difficultés rencontrées. Au début de l’aventure, des moucherons remontaient de la fosse des toilettes. « On fait rentrer la vie, alors forcément ça amène des bêtes». Mais cette situation, assure-t-il, survient uniquement au démarrage du processus, « on a quand même rajouté des biodéchets de la cantine pour accélérer la décomposition ». Autre problème : les filles qui jettent serviettes et tampons hygiéniques dans les toilettes plutôt que dans la poubelle. Ces matières non compostables tombent alors dans le composteur, il faut donc les trier. Et puis bien sûr, « les garçons qui continuent à uriner partout dans les toilettes, quand les urinoirs sont pris ». Le Biarrot d’origine confie enfin que le point faible de son système est la VMC pour l’instant électrique. « Si jamais nous avons une coupure du réseau, les odeurs afflueront très vite ». Il a alors ajouté une petite ventilation naturelle à la sortie du tuyau.
Et envisage d’installer un panneau photovoltaïque qui permettra de prendre le relais.
Des élèves contre… mais pour !
Malgré la sensibilisation au lancement des sanitaires, « une deuxième couche » en septembre et des panneaux explicatifs dans la cour, ça râle un peu. Des filles de 5eA, très volubiles en groupe, réclament de « vraies toilettes » car celles-ci « sont nulles, pas confortables ». L’une d’elles a fait « tomber une pièce de 2 euros dans le trou », une autre « son sandwich ». Un garçon se dit dégoûté depuis qu’il a regardé au fond avec une lampe-torche. « Mais bon, c’est bien sur un plan écologique », concède-t-il. Ses copines acquiescent : « c’est vrai, les agriculteurs utilisent notre urine ». Côté urinoirs, l’accueil est tout aussi mitigé. Une élève de CM2 trouve bizarre de « faire pipi à moitié debout » et préfère les toilettes. Des 3e sont, au contraire, emballées. « Pour les filles c’est mieux, on ne fait plus la queue, ça va plus vite ». Un garçon ajoute que « ça pue moins, c’est propre et ça fait de l’engrais ». Idem chez des 6e : « il y a le choix avec les urinoirs ».
Collecter maintenant l’urine
En revanche, les enseignantes, qui bénéficient du même dispositif, ont toutes adhéré, « quel que soit l’âge et le rapport à l’écologie de chacune », souligne encore étonné le directeur. Une professeure de maths confie, en sortant du lieu d’aisance, qu’elle apprécie l’urinoir pour l’économie d’eau et aimerait en installer un chez elle, « mais évidemment, il faut s’y habituer et penser à ne pas jeter le papier dedans ». Maintenant que la phase 1 du projet fonctionne, Philippe Bancon s’attelle à la mise en place d’une filière locale de valorisation. Une phase 2 que cet homme devenu expert nomme ‘’La révolution du pipi utile ou comment faire de nos déchets des ressources’’. ♦
♦ La semaine prochaine : « La révolution du pipi utile ou comment faire de nos déchets des ressources »
Bonus
#Le collège Saint-Vincent est catholique, associatif et bilingue basque. Au cœur d’Hendaye, ville frontière avec l’Espagne, il a la particularité d’accueillir des élèves dont les langues maternelles sont le français, le basque et l’espagnol.
# Le broyat de bois. Le collège Saint-Vincent a un accord avec la mairie d’Hendaye. Elle lui fournit le broyat de bois, issu de branches passées dans le broyeur par les élagueurs. En échange, le collège donne du compost aux jardins familiaux de la ville, en plus d’en donner aux parents.
# Les matières fécales humaines contiennent 75% d’eau et 25% de matière solide. Elles sont riches en nutriments, tels que l’azote, le phosphore et le potassium. Le compostage permet de les utiliser comme engrais naturel pour les plantes.
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# L’urinoir Marcelle, fabriqué en inox peint à Troyes, est adapté à l’anatomie féminine. On s’y accroupit légèrement, dos au mur. Il permet ainsi d’uriner ‘’sans toucher la cuvette des toilettes et sans éclaboussures’’, explique la designeuse Louise Raguet sur son site. Elle a en effet observé, selon Philippe Bancon, que 80% des femmes ne s’assoient pas dans les toilettes publiques. Enfin, l’avantage des urinoirs, plus étroit que les toilettes, est que l’établissement a pu multiplier par deux les commodités chez les filles. Ces urinoirs, comme ceux des garçons – modèle Ti’Pi fabriqué à Saint-Jean-de-Luz, sont placés à cinq hauteurs différentes pour que chaque élève puisse utiliser celui qui lui correspond – l’écart en taille entre un élève de CM1 et de 3e est en effet important.
# Les menstruations. Le collège Saint-Vincent s’attèle à familiariser les élèves à ce sujet considéré comme « sale, tabou, secret comme les toilettes et pourtant très important », souligne Philippe Brancon, très à l’écoute des femmes de son équipe. Dans un toilette fille, il a ajouté un lavabo privé « pour celles qui ont des cup menstruelles ». Et fait travailler une dessinatrice sur des planches BD. L’une abordera les questions d’intimité et de consentement, l’autre des menstruations. La première sera affichée dans tous les sanitaires, et la seconde uniquement dans les cabines, également filles et garçons.
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